Le billet du club des lecteurs audio
L’archipel d’une autre vie / Andreï Makine
Gallimard – écoutez lire – 2017
Interprétation : Lazare Herson-Macarel
« Aux confins de l’Extrême-Orient russe, dans le souffle du Pacifique, s’étendent des terres qui paraissent échapper à l’Histoire… Qui est donc ce criminel aux multiples visages, que Pavel Gartzev et ses compagnons doivent capturer à travers l’immensité de la taïga ? C’est l’aventure de cette longue chasse à l’homme qui nous est contée dans ce puissant roman d’exploration. C’est aussi un dialogue hors du commun, presque hors du monde, entre le soldat épuisé et la proie mystérieuse qu’il poursuit. Lorsque Pavel connaîtra la véritable identité du fugitif, sa vie en sera bouleversée. La chasse prend alors une dimension exaltante, tandis qu’à l’horizon émerge l’archipel des Chantar : là où une « autre vie » devient possible, dans la fragile éternité de l’amour. » [Notice Babelio]
Le roman délivre une grande leçon d’humanité : pour se libérer de sa condition – de cette image terrible qui le hante depuis un bombardement de 1943 – le héros ne cherche pas à se venger. Il cherche plutôt à oublier. Pourrait-on dire pardonner ? Une attitude qui s’apparente à un acte de soumission pour certains.
C’est un livre dans lequel les principaux personnages incarnent des approches très variées entre désir de liberté et référence à l’ordre. Dès l’origine de cette expédition, son ami Mark Vassine le prévient : il est le con qui sera puni, la cinquième roue du carrosse en quelque sorte.
Notons que le rapport homme/femme, dans ce contexte militaire du début des années 50, est une question qui taraude particulièrement l’auteur.
Cette histoire, transmise à un jeune homme perdu à l’extrémité du continent, donne une idée du travail à accomplir pour faire en sorte que nos rêves devienne réalité. Le héros a dû par exemple apprendre à se détacher de la haine qui le liait aux bourreaux de ses parents.
À propos des îles Chantar, d’aucun peut se demander : comment survivre dans des conditions aussi rudimentaires ? C’est la vie, au sens le plus profond du terme, qui s’échappe de ce long discours.
Voici quelques commentaires de libraires :
– Dans une langue somptueuse , le plus français des auteurs russes , signe une chasse à l’homme des plus énigmatiques où l’on n’est pas pressé de capturer un évadé …S’engage alors , un dialogue « à distance » sans parole , ponctué de péripéties effrénées ,entre les soldats et leur proie, à travers une taïga impérieuse, de toute beauté, qui dicte sa loi cruelle .L’homme doit survivre à cette nature hostile mais aussi à sa propre violence. Makine métamorphose sa traque en quête libératrice , d’un monde épuré , libre de tout asservissement , de l’ère stalinienne à nos jours .Il nous fait côtoyer les extrêmes , la terreur et l’amour , avec tout son talent de conteur russe amoureux de sa Sibérie natale . Sandrine D. (libraire Decitre Annecy)
– À la fin de l’ère stalinienne et aux commencements de la guerre froide, Pavel ainsi que d’autres militaires ont pour mission de capturer un fugitif. Une longue et éprouvante chasse à l’homme dans la splendide taïga russe va alors s’engager : elle bouleversera à jamais le destin de Pavel… Andreï Makine sublime cette nature belle et inhospitalière avec la délicatesse et l’incroyable talent qu’on lui connaît, comme un hommage à ce lieu sauvage, et offre un cadre magnifique et un écrin idéal pour cet Archipel d’une autre vie, roman d’aventures et d’initiation fort et d’une infinie poésie. La prose cristalline d’Andreï Makine, le destin de ces personnages ainsi que leur difficile apprentissage et leur lent apprivoisement de cette nature maîtresse vous habiteront longtemps! Florian C (libraire Decitre Saint-Genis-Laval)
Quelques citations enfin ; une idée du cheminement intérieur opéré par Gartzev
1. « C’est un internat comme un autre sauf que… voilà, on est tous des enfant de… de taulards ». dit-il avec une brusquerie coupante. Je rétorquais en appuyant les syllabes : « De prisonniers. » C’était l’une des règles inviolables dans notre milieu. Nous pouvions nous couvrir d’injures les uns les autres mais personne ne devait offenser la mémoire de nos parents.
2. À la gare, la colère et l’aigreur ne me lâchèrent pas tout de suite. J’imaginais Svéta Zina offrir à Iouline des caresses que je n’avais pas reçues. En réalité il ne s’agissait plus d’elle mais de ce personnage que tout homme trompé fabrique : une maîtresse à la fois haïe et infiniment plus désirable, car appartenant à un autre.
3. Je restait sans bouger. Le regard ensorcelé par l’incroyable étrangeté du visible. La persée s’ouvrait sur une vie face à laquelle tout ce que j’avais vécu et appris perdait son importance.
4. Tout autour, dans les camps que cachait la Taïga, des milliers d’ombres meurtries peuplaient des barraquements à peine plus confortables que mon abri. Que pouvait proposer un philosophe à ces prisonniers ? La résignation, la révolte, le suicide ? Ou encore le retour vers une vie libre ? Mais quelle était cette liberté : travailler, se nourrir, se divertir, se marier, se reproduire et aussi, de temps en temps, faire la guerre, jeter des bombes, haïr, tuer, mourir ? Nulle sagesse ne donnait une réponse à cette question si simple : comment aller au-delà de notre corps fait pour désirer et de notre cerveau conçu pour vaincre dans les jeux de rivalité. Que faire de cet animal humain rusé, cynique, toujours insatisfait et dont l’existance n’était pas si différente du grouillement combatif des insectes qui s’entre-dévoraient dans les fentes de mon abri ?
5. J’allais interroger Vassine à ce propos quand le craquement d’une branche me mit aux aguets. Radzinski surgit. Non pas du côté des tentes mais remontant de la rive. « Vous feriez mieux de rester vigilants au lieu de bavarder. » lâcha-t-il sèchement avant de disparaître. Dans le regard de Vassine je devinais ma crainte. Nous a-t-il entendu parler du prisonnier politique ? Et si oui, va-t-il nous dénoncer à louskas ? De nouveau, je sentis en moi un frisson de lâcheté : la présence du pantin de chiffon qui me suggérait l’obéissance, l’effacement de toute parole imprudente ; en fait, le bannissement de tout ce qui nous rendait vivants.
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